Un rayon de Lune protégera nos paroles [ PV Lunar ][Abandonné]

Il devait être minuit. Un petit groupe s'était réuni à quelques lieux du District, sur une colline. Quatre enfants refaisaient le monde sous le regard tendre de celui qu'ils nommaient l'Infirme. Un feu de camps crépitait doucement, sous les rayons protecteurs de la Lune.
    Hélias venait souvent avec eux, le soir, sur cette colline, parler de tout et de rien. Il écoutait les rires et les phrases pompeuses de ces jeunes qui l'admiraient. De temps en temps, il intervenait d'un mot, pour reprendre ce que l'un ou l'autre avait dis. Alors, tous les visages se tournaient vers lui en buvant ses paroles. Le pouvoir qu'il avait pris sur les jeunes du District lui faisait un peu peur. Il se sentait responsable d'eux.

Il y avait là ce soir les jumeaux Ignace et Pétale, la griffonne Mélia et Igor. Igor... Ce jeune étalon fougueux rappelait à Hélias l'enfant qu'il avait été un jour, plein de vie et d'idées reçues, rêvant d'un monde meilleur.

- Moi quand je serai grand, j'irai combattre, comme Hélias! Je deviendrai un grand guerrier! Et Subby, je lui Poterais le derrière! Disait justement Igor.

Les jeunes rirent un moment de cette mauvaise blague de leur camarade, fier comme un lion, mais qui ne restait pas moins un simple Terrestre.

- Igor... La guerre, les armes, le feu... Laisse le pour les autres. Si tu veux lutter, lutte par tes idées et par tes mots, non par les actes.

-Mais, Maître... Je voudrais faire comme vous!

- Cesse de m'appeler ainsi mon fils, je te l'ai déjà dis plusieurs fois. Hélias garda un moment le silence. Soudain, il leva les yeux vers la Lune:

- A présent, il est l'heure de rentrer. Je ne vous raccompagne pas ce soir. Ignace, prend soin de ta mère, et dis lui que je passerai la voir demain.

Les enfants hésitèrent un court instant, puis se levèrent pour partir. Ils saluèrent l'Infirme et prirent le chemin de leurs maisons. Hélias n'avait pas bougé, et regardait toujours la Lune, en silence.
La brise soufflait, inperturbable. Hélias attendait quelque chose. Il sentait dans l'air qu'une page importante de son histoire allait bientôt se tourner, une présence approchait.

Avançant lentement vers le pégase, la licorne blanche, dont la robe immaculée luisait sous les rayons de son homologue, souriait. Son regard bleu sans âge le dévisageait, tandis que la distance qui les séparaient se réduisait. - Ça fait peur de se sentir responsable d'autres que soi même hein ?

Hélias cligna alors des paupières, et la licorne n'était plus là. - Tu n'est pas une licorne, et pourtant un grand pouvoir brûle en toi. La flamme du courage et de la détermination. Le rugissement d'un lion qui ferait trembler les plus grands.

Lunar était allongé sur une des branches du seul arbre de la colline, son regard toujours fixé sur le poney. - Tu es le premier depuis longtemps à avoir senti que j'arrivais... Je ne me suis donc pas trompé sur ton compte, mon cher Hélias.

Lunar leva alors la tête vers la Lune, sa corne se mettant à briller d'une douce lumière bleu océan, mais bien plus vivante et complexe que les habituelles lumières de autres licornes. Les étoiles se turent alors, leurs lumières baissant doucement d'intensité, de même que la Lune, laissant le soin à la robe de la licorne blanche le soin d'éclairer cette scène.

Lunar tourna lentement sa tête vers Hélias, toujours souriant, mais le regard triste. Une tristesse si présente, et si absente, comme venant d'un autre temps. - Je me nomme Lunar Light. Tu as une vision des choses intéressante, et c'est pour cela que je suis devant toi aujourd'hui.

Lunar en profita pour observer le poney. Robuste, fier, mais brisé. Le temps et les épreuves avaient marqué ce colosse, mais son esprit était toujours le même. Un combattant peut perdre son corps, mais son esprit demeure intact, et c'est en cela qu'on reconnait les plus nobles d'entre eux. Lunar pouvait sentir l'âme d'un champion, d'un roi. Une âme aussi brillante dans un corps si démuni.. Une larme coula doucement de l'oeil droit de la licorne, bien que son visage n'ai pas changé d'expression. La larme vint s'écraser sur l'herbe, au sol.

- Je comprend ta peine et ton chagrin, et je comprend d'autant plus ta force et ton envie de montrer a ces petits poneys une vision d'un meilleur futur. Tes mots sont aussi puissant que l'était ton corps. Le sourire de la licorne se fit plus grand, empreint de bonté. Lunar se reconnaissait en Hélias, à une époque où le temps avait encore de l'importance.

Un souffle de vent se prit dans la crinière sombre d'Hélias, tandis que celui-ci se murait dans le silence. Il hésitait.
La Lune veillait, tout là-haut dans le ciel, voilée par la puissante magie de Lunar. C'était peut-être cela qui mettait l'Infirme mal à l'aise, il avait l'impression d'avoir perdu le soutient de sa Dame, de sa Reine, de son Astre divin.


Après un long silence,  Hélias se résigna à parler, le regard fixé sur l'univers

- Ce sont les étoiles qui m'ont chuchoté ta venue, être de Lumière.
Il ferma les yeux. Elles me disent beaucoup de choses et ne mentent jamais.

L'Infirme se tourna alors vers l'étrange licorne et la dévisagea sans honte. Il étudia ses yeux couleur d'eau profonde, sa cicatrice timide sous l'oeil gauche. Les deux créatures n'avaient pourtant que peu en commun, mais un lien infime les attirait.
Un nouveau zéphir bruissa dans les feuilles de l'arbre. Le feu s'éteignit subitement, plongeant les deux êtres dans la pénombre. Seuls les reflets ambrés de Lunar scintillaient encore dans l'obscurité.

- Je ne suis point un lion, pas même un simple renard. Je me contente d'être un oiseau blessé, regardant le monde de loin depuis son nid. Jadis, empli d'espoir et de fougue, je voulais devenir un grand homme. Poussé par mes instincts, j'ai volé trop haut et me suis brûlé sur le soleil ardent. Du moins, c'est ce que tout le monde a l'air de croire...
En réalité...

Ses mots se perdirent dans l'horizon, il avait failli en dire trop.
La Lune se découvrit subitement et les yeux d' Hélias, jusqu'alors caché par la nuit, se révélèrent au bord des larmes. Il détourna la tête.

- Tu as du te tromper de personne, ô être de légende. Je ne suis qu'un vieil homme avant son heure, qui se languit des batailles d'autrefois. Je sens ton aura crépiter jusqu'aux nuages d'encre. Celui que tu cherches doit être bien chanceux.

Lunar écouta sans broncher la complainte de l'Infirme. Il écouta chaque mot, il écouta chaque émotion. Il était bel et bien brisé. Le pégase semblait fort à premiere vue, mais au fond de lui, il était sur le point de tomber dans l'oubli. Cela rappela à Lunar ses dures et longues années, le jour où, incapable de supporter plus longtemps le ballet incessant des boules de feu et de lumières dans le ciel, il faillit mettre fin à sa vie. Lunar poussa un long soupir, soupir qui fit se lever une douce brise, chassant les nuages d'encres, révélant un ciel pur, tapissé de couleurs miroitantes, les astres retrouvant enfin toutes leurs majestueuse lumières. La licorne blanche se laissa alors tomber de sa branche, atterrissant au sol avec légèreté, presque sans un bruit. Elle s'approcha d'Hélias et posa avec douceur son sabot droit sur l'épaule du guerrier.

- Dans ce cas, mon cher Hélias, considère moi comme ton étoile, car je ne ment... jamais. Le tatouage blanc qui ornait la patte avant droite de Lunar se mit a luire doucement, une force oublié par Hélias se mit alors à couler dans ses veines, faisant briller sa robe comme de l'intérieur. - Sache que je sens aussi ton aura au fond de toi, endormie, latente. Tu n'as pas oublié la fureur des combats, le plaisir de se battre, je le sais. Je connais ton histoire, et elle n'est pas importante. L'important, c'est ce que tu décide d'être, maintenant. Lunar retira alors son sabot, la robe d'Hélias perdant de sa lumière pour revenir à la normale. La licorne s'écarta de quelques pas, marchant doucement sur l'herbe de colline, pour finalement retourner son regard sur le pégase, un fin sourire éclairant son visage.

- Alors, Maître Hélias ? Un guerrier comme vous devrait-il courber l'échine, mettre un genoux à terre si vite ? Où devrait-il laisser brûler son esprit, et répandre son courage autour de lui ? Tu as la force en toi, laisse la s'exprimer comme autrefois. Le corps n'est rien, tant que l'esprit est fort. Fais moi confiance la dessus.

-NON. TU NE SAIS RIEN DE MOI. RIEN. LE CORPS! LE CORPS!

Le pégase avait hurlé soudainement, de façon rauque. Sa voix, altérée. Dans le silence qui suivit, il trembla étrangement, de façon presque épileptique.  Il semblait faire un effort monstrueux pour lutter contre quelque chose, en lui.
Brusquement, il leva la tête vers le ciel. Un cri de douleur déchira la nuit. Hélias se tordait au sol.

- LUNAR, ALLEZ, UN EFFORT! JE SAIS QUE TU M'AS RECONNU.
Sa bouche s'ouvrait et se fermait mécaniquement. Ses yeux étaient vides comme ceux d'un poisson mort.TU ME PERCOIS. AIDE MOI.JE GIS DANS L'OMBRE D'UN INSOLENT, D'UN IGNARE, D'UN ...

Le temps semblait s'être arrêté. L'Infirme, plus faible que jamais, s'était jeté au sol, tambourinant la terre de son sabot. La sueur coulait le long de ses cils, de sa crinière en broussaille.
-Non... Non... SI! AAAAAAAAH!

Un second râle fit s'envoler les oiseaux au loin. Quelques lumières commençaient à s'allumer, dans le District.
Au niveau de son flanc, là où devait se trouver sa cuty mark, l'armure d'Hélias était chauffée à blanc. Son oeil valide était révulsé.

Et puis soudain, tout redevint calme. Tout s'arrêta, comme cela avait commencé. Au sol, l'Infirme cherchait son souffle. Son coeur était fou, sa tête, froide comme un matin de janvier.

-Tu voulais... le lion? Voilà, tu as réveillé le tigre. Murmura Hélias, qui se redressait péniblement, la tête cachée par ses crins.

Un rayon de Lune, triste, scintilla sur le sang à terre. L'Infirme s'était arraché des plumes en se débattant.

Lunar ne cilla pas, tandis que le pégase entra dans un accès de folie pure. Seule son sourire disparut lentement, remplacé par une neutralité profonde, ancestrale, les deux saphirs brillants observant Hélias tandis que celui ci poussait des hurlements déchirant le silence de la nuit, se convulsant au sol. La licorne blanche s’avança de quelques pas tandis que les hurlements du pégase se turent soudainement, laissant un silence tendu planer sur la colline. Lunar dominait de toute sa hauteur le pégase recroquevillé, bien que la licorne ne soit en réalité pas si grande que cela. Son regard n'exprimait plus rien, si ce n'est la tristesse inhérente au personnage. Son sabot bleu se leva du sol, et se posa à nouveau sur l'épaule d'Hélias, une douce lumière l'enveloppant, les blessures qu'ils s'était infligé pendant sa crise se guérissant doucement.

- Je ne peux pas t'aider, mon cher Hélias. Je ne peux que t'éclairer les chemins qui s'offrent à toi. Le choix d'arpenter l'un de ses chemins n'appartient qu'à toi et à toi seul. Lunar retira son sabot de l'épaule d'Hélias pour la seconde fois, se reculant à nouveau avec un long soupir. - Sache que je suis bel et bien une de tes étoiles, et que je t'observe avec attention. Ne me prie pas, souris moi. Je sais que je ne me trompe pas sur toi, Maître Hélias. Notre rencontre n'est que le commencement du chemin de ta rédemption et de ton acceptation. J'ai foi en toi, comme en tout ceux que je surveille et protège. Quand au tigre...

Lunar leva la tête vers la Luna, l'astre brillant se reflétant dans les iris océan de la licorne. Peut être en faisait-il trop cette fois. Son besoin d'aider les autres était plus fort que tout, malgré son envie de rester neutre face au monde. Mais certains poneys avaient besoin de lui, sans le savoir. Et.. il avait besoin de..

- Ne sois pas un prédateur, sois un patriarche. Cela semble dur, mais rien n'est impossible... Je te prie de me faire confiance.

Une larme unique coula le long de la joue d'Hélias. Une douce chaleur s'étendait dans tout son corps au contact de Lunar sur son épaule. Il aurait voulu suspendre le temps pour ne pas devoir faire face à la triste réalité. Il aurait voulu se recroqueviller comme un poulain sur lui même, drapé dans la bienveillance de Lunar.
  La licorne surprenait l'Infirme. Son sang-froid et l'étrange protection distante qu'elle venait d'avoir pour lui avait un sentiment de déjà-vu.

Et pourtant, c'est impossible qu'il s'en rappelle, nous avions veillé à cela, autrefois pensa Hélias.

Lorsque le magus retira son sabot, un grand froid envahit le pégase. Après tout, il avait échoué. IL était revenu. La peur le prit. Il avait besoin de protection. Les sacrifices ne lui faisait plus peur, avec le temps, mais... Il était devenu responsable des enfants. Penser à Igor raffermit son esprit. Un faible sourire se dessina dans sa barbe de sage.

- Vous m'avez appelé ...Maître?

Cela suffit à lui redonner de l'aplomb.Il se tourna alors vers Lunar. Son visage impassible était baigné d'ombres.

- Vous regardez la Lune comme on regarde une sœur, seigneur. Vous êtes peut-être bien né de la poussière d'une étoile? Que dis-je ? Vous êtes étoile.

Hélias posa alors un genou à terre.

- Si vous êtes le frère de ma Reine, alors je suis votre serviteur. Vous avez foi en moi, et cela me redonne confiance. J'aimerai pouvoir venir au peuple du District, oppressé par la ville, qui les oublie un peu plus chaque jour. Dans les cœurs de tous, la rage commence à gronder. Même les enfants maudissent Subby Potty, qu'ils désignent comme responsable. Je voudrai pouvoir apaiser leur âme, et, que la Lune me vienne en aide, les aider à briser leurs chaînes. Ses yeux brillaient d'espoir. Dites moi... Portez moi la parole de mon Astre, que puis-je faire?

Lunar soupira doucement. La licorne blanche baissa alors le regard vers le pégase qui s'était relevé entre temps, son regard rempli d'une nouvelle détermination, ce qui arracha un sourire à la licorne. Enfin, le vrai Hélias se réveillait. Puis l'expression de Lunar changea. Le vieux pégase s'était agenouillé devant lui, comme un serviteur face à son seigneur. La tête baissé vers le sol, Hélias se mit à parler d'une voix empreinte de respect, d'espoir... L'expression de Lunar se fit plus douce tandis que le pégase lui demandait conseil. La licorne blanche posa son sabot bleu sous le menton d'Hélias, intimant doucement à ce dernier via ce geste de se relever. - Tu n'es pas mon serviteur et je ne suis pas ton maître, mon cher Hélias. Tu peux me considérer comme ton guide, te surveillant comme la lumière de la lune t'éclaire. En revanche, si tu veux un conseil du vieux sage que je suis, écoute et suis celui ci.

Lunar s'écarta, allant s'allonger au pied de l'arbre. Son regard de saphir scruta alors le vieux pégase brisé. Le vent cessa de souffler autour d'eux, le silence s'abattant autour d'eux. La licorne ouvrit la bouche, sa voix se faisant plus profonde, ancestrale.

- Deviens ce que tu vénère, sois la lumière de la lune, sois le phare qui éclaire dans la nuit, sois la voix qui porte dans l'obscurité. Ton corps est peut être devenu vieux, mais il n'y a pas que le corps qui peut se battre. Affûte ton esprit, forge le et sers t'en comme d'une arme, l'arme de cette nouvelle génération. Prends le sabot de ses enfants, fais leur voir un meilleur futur. Lunar poussa un léger soupir avant de reprendre. - Ne sois plus Hélias le Guerrier, mais Maître Hélias le Sage, que ta parole et tes mots enflamment le cœur des poneys, que ta propre flamme les réchauffent dans les heures les plus sombres, que tes idées transcendent la peur et le ressentiment, ainsi je te conseille.

Lunar leva doucement le sabot pour le frapper au sol, l'herbe autour d'eux se couchant doucement comme sous l'effet d'une onde de choc.

La Lune commençait doucement sa descente dans le ciel d'encre. Le vent se fit plus frais.
Les deux étalons restaient silencieux dans la pénombre. Hélias prenait le temps de méditer sur chacune des phrases de l'étrange Licorne. Les mots chargés de sens flottaient dans la brise. Les yeux baissés vers l'herbe frissonnante, l'Infirme pensait à Mélia, à Ignace et à Pétale... A Igor. Lunar avait raison, Hélias se devait de les aider, de construire leur futur. Il avait conscience que, petit à petit, il prenait de l'importance dans le District. Il pouvait avoir un rôle, il le devait, même. Il n'avait pas le droit d'abandonner ceux qui commençaient à fonder leurs espoirs en lui. Et si un être légendaire comme Lunar se proposait comme guide, c'est que la Lune l'avait choisi.
Hélias déploya ses ailes et s'étira, les muscles endoloris depuis sa crise. La peau de son aile atrophiée luisa un instant. Aucune plume n'avait repoussé dessus depuis... Son ablation.  L'Infirme avait accepté de vivre sans, de renoncer au vol, à la sensation grisante de la vitesse, à la morsure du vent sur ses flancs.

Le silence semblait convenir aux deux équidés. Il prenait sa place dans leur dialogue. Tacitement. Pour Hélias, c'était le silence de la réflexion, de la remise en question. Aux yeux de Lunar par contre... Qui aurait pu savoir ce qu'il signifiait?

Après quelques instants, l'Infirme tourna la tête vers le District, qui s'éveillait doucement.

- Il est vrai que ça gronde, dans le District, depuis quelques temps. J'essais d'apaiser le coeur de ceux que je croise, mais...

Laissant sa phrase en suspens, Hélias alla se placer près de Lunar, qui l'écoutait, allongé contre l'arbre.

- Si ce que tu dis est vrai, être de Lumière, alors je me dois de sortir de ma torpeur, de mon mutisme. Je dois prendre mes responsabilités et faire porter ma parole au plus grand nombre? N'est-ce pas... Présomptueux? En quoi suis-je légitime?

Une goutte de rosée se posa sur son museau, il frissonna.